Poetic Point

Mes accompagnements

Depuis 2006 je suis sollicitée comme Dame de Compagnie et Assistante de Vie, appellation que je vis comme une consécration. L’accès à cette fonction s’est présenté tout naturellement à moi –au beau milieu de mes activités littéraires et pédagogiques- toujours par des interventions amicales providentielles.

Quatre accompagnements thérapeutiques à moyen et long terme, à domicile, se détachent singulièrement de mon parcours :

2006-2007

Madame A. 91 ans, souffrant de troubles de la mémoire.

Lors de la rencontre préliminaire à cet accompagnement qui va se prolonger sur deux étés à son domicile du Pyla, au Bassin d’Arcachon, la famille me demande de « sortir grand-maman de sa grisaille ». Objectif réussi grâce au charme jour après jour renouvelé d’un accompagnement en poésie.

L’expérience de l’été 2006, racontée sous la forme d’un journal de vacances, a pour titre « Mon été à Bellerive ». Manuscrit dactylographié de (numéro) pages. En recherche d’éditeur. Voir rubrique Mes Livres.

L’expérience de l’été 2007, racontée dans un recueil de poèmes ayant pour titre « C’est où la Pentagonie ? » a été couronné par le Prix des Premières Réalisations de l’A.R.D.U.A (Association Régionale des Diplômés Universitaires d’Aquitaine) en 2010 à la Mairie de Bordeaux. A la suite d’une première édition –suivant ce prix– en 2010 par LIBRE LABEL éditeur de Bordeaux, ce recueil toujours demandé est en recherche d’éditeur pour une deuxième édition.

2008

Monsieur E. 84 ans.

Accompagnement de réhabilitation suite à un AVC et post-opératoire (prostate) à Bordeaux. Accompagnement de jour vécu en grande partie dans le partage de la poésie de Victor HUGO (Voir « accompagnement 2 » ci-dessous : Gaspard…)

2009-2012

Madame D. 80 ans. Troubles de la mémoire.

Accompagnement à domicile à Bordeaux, pendant trois ans. Soutenue par une solide équipe familiale et professionnelle d’aide aux soins, j’entends pour la première fois parler d’art-thérapie par le personnel du milieu paramédical. A cette époque, je participe régulièrement aux séances de formation aux aidants sur la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés, à l’Hôpital Interurbain du Bouscat, ainsi qu’au café mémoire de Mérignac. (Voir cas n°3 ci-dessous : Nina…)

À la fin de ce contrat, à partir de la rentrée 2012, je me mets en quête d’une bonne formation en art-thérapie (voir rubrique Une thérapie par la poésie). Une suite de circonstances heureuses me met alors en rapport avec la région de la Vienne, la ville de Poitiers et plus particulièrement la ville de Châtellerault qui va devenir mon lieu de résidence, lieu à partir duquel je vais découvrir le D.U. d’art-thérapie proposé par la Faculté de Médecine de l’Université de Poitiers.

Lors du stage pratique inhérent à ce cursus universitaire, stage sur la poétique de la cure psychanalytique par le psychodrame effectué à l’Institut du Masque de Buenos Aires en avril-mai 2015, je fais la rencontre de la personne qui va demander à bénéficier d’un accompagnement en poésie pendant deux semaines –accompagnement qui va se prolonger pendant deux ans par l’échange de messages audio à mon retour en France, en dehors du cadre universitaire :

2015-2017

Madame S. 62 ans, psychologue.

Accompagnement d’un syndrome de basse vision conséquent à une rétinopathie pigmentaire, maladie de l’œil évoluant inéluctablement vers la cécité.
La connotation visuelle de cette expérience forte –décrite dans mon Mémoire- me ravit par la coïncidence extraordinaire avec l’aspect qui m’a le plus touchée lors de mes études : la fonction de la peinture comme outil d’expression du monde de chaque individu par la médiation de l’œil, organe physique nous mettant en rapport non seulement avec le monde dit extérieur, mais ouvrant par ce regard autre, le regard intérieur, l’accès à une lumière venant éclairer par touches –à l’instar de la poésie–l’infini du dedans de la conscience humaine. Expérience décrite par Balzac, Kandinsky, Proust dans leurs œuvres et analysée, entre autres, par Maurice Merleau-Ponty dans L’œil et l’esprit.

Grâce à ce dernier accompagnement lié au D.U. d’art-thérapie, ma vision s’est amplifiée.

Ma perception de l’art comme vecteur de lumière s’est agrandie.

La notion de l’œuvre d’art se révélant peut-être comme ultime refuge pour l’aventure spirituelle de l’homme isolé de notre époque –en dépit de tous les progrès  de la technique visant à une communication plus rapide et soi-disant efficace- est le thème qui accapare ma réflexion à la suite de ma soutenance de Mémoire en janvier 2017. Un ouvrage sur cette réflexion est en préparation.

Heureusement, dans la course incessante des instants sur terre qui est le lot de chacun de nous, d’autres accompagnements minuscules, subtils, artistiques, amoureux, se succèdent comme surgis d’une puissante source d’inspiration toujours à l’œuvre…

Accompagnement 2 – Extrait de  Gaspard et Victor HUGO

Présentation : Gaspard est un homme de près de quatre-vingts ans, professeur de français, égyptologue, écrivain, qui habite un grand et vieil appartement de Bordeaux, en compagnie de sa famille à la suite d’une intervention chirurgicale de la prostate et qu’il se remet par ailleurs d’un petit AVC. Sa famille est composée de sa femme, frêle, souffrant de son côté de troubles de la mémoire, de son fils, de sa belle-fille et de quatre petits-enfants, dont la benjamine répond au joli prénom de Capucine.

Temps : août 2008

Lieu : Ville de Bordeaux, quartier grands boulevards, Barrière de St. Genès.

Modalités : Accompagnement de jour pendant deux semaines. La nuit, vient M. T, employé jardinier très aimé de Gaspard dont le jardinage avait été une de ses occupations favorites.

Objectif thérapeutique : égayer ses journées, entretenir la conversation, préparer et aider si besoin à prendre les repas et  surveiller  la prise correcte des médicaments.

A mon arrivée, le premier jour, je trouve un monsieur qui trône assis dans son lit médical installé dans un coin de la salle à manger de cet appartement tout en dénivelés, ce qui rend difficile la déambulation du convalescent, branché à son dispositif de goutte à goutte. Il descend de son lit et effectue des exercices d’intérieur avec le kinésithérapeute qui vient deux fois par semaine.

Gaspard a pris l’habitude d’appeler son monde autour de lui en tapant des mains avec une certaine autorité, à la façon d’un roi avec ses serviteurs. A l’heure de notre présentation, il demande mon prénom :

– Ah, Laetitia ! … LetiZia (il semble heureux de découvrir le Z de l’orthographe italienne de mon prénom, lorsque je le lui annonce) LetiZia Ramolino, pourvu que ça dure ! –dit-il en faisant allusion à la mère de Napoléon : Letizia BONAPARTE née Ramolino, juste deux siècles avant ma naissance.

Je ne suis pas étonnée de cette identification, souvent entendue à une autre étape de ma vie. Il semble agréablement surpris de constater que je connais l’historique de Letizia, mère d’un empereur. Et enchaîne :

– Tu connais Léopoldine, aussi ?

– Oui, la fille de Victor Hugo…

– Ah, félicitá ! Tiens, désormais je vais t’appeler Félicitá !

Gaspard aime les prénoms des femmes, qu’il se répète souvent comme une douce litanie : – Marie ! Léopoldine ! Jeanne ! Suzanne ! Florence ! Andrée ! Sophie ! Capucine !

Et tout à coup, comme par magie, la litanie devient fleurie : – Forsythia ! Rose des sables ! Fleur de la passion ! Canne à sucre ! Fleur du Banian qui ne fleurit que la nuit et qui est fertilisée par les chauves-souris ! Rose de Chine ! Rose de Noël ! Sauge ! Bouton d’or ! Ancolie !

Pendant ce temps, à côté de lui, la dame de compagnie  que je suis, lit :

« Que dit-il ? Croyez-vous qu’il parle ? J’en suis sûr

Mais, à qui parle-t-il ? A quelqu’un dans l’azur

À ce que nous nommons les esprits ; à l’espace,

Au doux battement d’aile invisible qui passe,

À l’ombre, au vent, au petit frère mort.

(…) 

Oh, divin clair-obscur du langage enfantin !

Mêlées de syllabes, adorables envolées,

Idiome où le ciel laisse un reste d’accent,

L’idylle du vieillard, la voix d’un enfant d’un an. [1]

Gaspard avait une très belle bibliothèque que l’on m’avait permis d’explorer. Tous les Grands Classiques des Lettres étaient là, sources inépuisables de connaissance et d’exploration art-thérapeutique. Au même titre que le dossier médical, l’art-thérapeute devrait toujours pouvoir avoir accès à la bibliothèque de la ou des personnes qu’il accompagne.

[1] HUGO Victor, La légende des siècles, Vol. II

Cas n° 3 – Extrait de Nina et Le chant des insensés [1], avec Chopin et Ravel

Présentation : Nina est une dame de soixante-dix-neuf ans lorsque je fais sa connaissance. Veuve depuis trente ans, silencieuse, douce, presque effacée, elle est entourée par une famille unie, aimante et respectueuse. Elle a une fille et trois fils dont l’aîné ressemble beaucoup à son père et a pris les rennes de la maisonnée à la mort de celui-ci. Depuis quelque temps, la famille a remarqué des « bizarreries » dans son comportement : dysfonctionnement cognitif, confusion et décalage spatio-temporel, perception d’êtres ou choses invisibles, organisation et préparation d’événements imaginaires. Ces « sauts » d’humeur, de temps et de circonstances se produisent sporadiquement, au début, et vont devenir progressivement envahissants.

Je suis  sollicitée pour un accompagnement à long terme, à domicile, en Contrat à Durée Indéterminée en qualité de Dame de Compagnie et Assistante de Vie, contrat qui va se prolonger  pendant trois ans.

Lieu : Ville de Bordeaux, quartier du Palais Gallien.

Temps : de Novembre 2009 à Novembre 2012

Modalités : Accompagnement de jour et de nuit avec des horaires bien définis, temps de repos et de liberté d’exercer d’autres activités. Fonctionnement en équipe relais avec la famille proche, entre Bordeaux (l’hiver) et St.Jean-de-Luz au pays basque (l’été).

Objectif thérapeutique : Apporter une présence rassurante au quotidien, accompagner la personne lors de ses déplacements, veiller discrètement sur elle, la stimuler, préserver et promouvoir la clarté de l’entendement, lui redonner un souffle de joie de vivre dans la mesure du possible.

J’ai un accès partiel au dossier médical et c’est au fur et à mesure de mon accompagnement que je vais apprendre, éprouver et comprendre les caractéristiques de sa maladie : démence à corps de Lewy.

Nina est mélomane avec une prédilection pour la musique de Frédéric CHOPIN que nous écoutons souvent et, aussi, du compositeur auteur du « Boléro », Maurice RAVEL, originaire de Ciboure, près de St.Jean-de-Luz, où j’accompagne souvent Nina aux auditions, master classes et concerts qui ont lieu à l’Académie Ravel, haut lieu d’enseignement musical dans le pays basque.

Intimement accompagnées par la lecture du « Chant des Insensés » que je vais découvrir dans la bibliothèque de la maison estivale au cours des premières vacances partagées avec Nina et sa famille, je me laisse imprégner par l’apprentissage de Jukovski, le poète romantique russe de l’histoire qui va apprendre, au contact des géants des lettres russes « qu’en matière d’art, les insensés ont raison contre les sages ». [2]

 

Note de l’art-thérapeute : Ces textes faisaient partie des exemples apportés en illustration aux différentes modalités d’accompagnement en poésie lors de la rédaction de mon Mémoire universitaire.

[1] TROYAT Henri, Le chant des insensés, Ed. FLAMMARION,  Paris, 1993

[2] Ibid